Vox Luminis - Biber: Requiem - Crescendo
Son : 9.5* – Livret : 10* – Répertoire : 9* – Interprétation : 10*
Après ceux de Johann Joseph Fux et Johann Caspar Kerll chez Ricercar en 2016, voici que Vox Luminis se penche sur un autre Requiem. Celui de Biber, du moins un des deux que nous lui connaissons : celui en fa (ex F con terza minore) inventorié au numéro 8 du catalogue d’Eric Thomas Chafe. Celui que nous révéla Nikolaus Harnoncourt voilà un demi-siècle, avec les Wiener Sängerknaben, Chorus Viennensis et Concentus Musicus (Telefunken, 1969). Qu’enregistrèrent ensuite Erik Van Nevel (Ricercar, 1990), Philip Pickett (L’Oiseau-Lyre, janvier 1992), Pierre Cao (Ambroisie, 2003), Paul McCreesh (Archiv, juillet 2004), Romina Lischka (Ramée, 2019)... Et Gustav Leonhardt (couplé avec la Missa Scala Aretina de Francisco Valls, DHM, juillet 1992). À ne pas confondre avec l’autre Requiem, en la, qu’enregistra aussi Leonhardt (DHM, octobre 1994, couplé avec le Stabat Mater d’Agostino Steffani), succédant au témoignage de Ton Koopman (Erato, août 1992) et précédant celui de Jordi Savall (AliaVox, mai 1999). Ce survol discographique, non exhaustif mais quasi, montre que le Requiem en fa a été peu enregistré, mais par des noms de premier plan.
Après ces papes du répertoire, Lionel Meunier offre une contribution du même niveau et qui ne les doublonnera pas. Les douze chanteurs alimentent les cinq parties solistes et les cinq parties ripienistes. Les présences instrumentales détachent le violon solo ; les trois trombones inculquent volume et noirceur : voilà qui exacerbe le clair-obscur de l’écriture, souligné par la présence discrète du luth de Lee Santana. La finesse, la netteté des lignes de Vox Luminis, leur contraste signent un tableau caravagesque où les paroles de la messe s’investissent de tout leur poids de sens. Non pas asséné mais incisif, à la manière madrigalesque, traquant les figuralismes. Le tremblement pour le « Quantus tremor est futurus » du Dies Irae (0’34), l’horreur grimaçante sur le « de poenis inferni » (0’29-0’47) de l’Offertorium, les battitures exaltées qui jaillissent du « Hosanna in excelsis ». On n’imaginait pas le Requiem se prêter à pareille candéfaction. Sensations fortes qui trouvent leur exutoire dans la déprécation épurée de l’Agnus Dei.
De l’aveu même de Jérôme Lejeune dans sa notice, « rien ne permet de rapprocher les quatre compositeurs rassemblés dans cet enregistrement ». Ni leurs aires géographiques (depuis les rives de la Baltique jusque Vienne), ni leur religion. Si ce n’est l’influence italienne qui s’empare du Baroque germanique, et que l’interprétation réunit dans un même bonheur d’expression. Variété des combinaisons instrumentales à l’appui de la polyphonie des deux motets de Christoph Bernhard et du Omnis terra adoret de Fux. On retrouve à nu le Freiburger Barockconsort dans deux pièces qui s’entretoisent au programme liturgique du CD. La Sonata a 6 de Nicolai, pour cordes. Et la Sonata a quattro de Fux pour un délicieux consort de violon, cornet, douçaine et trombone : comparer avec la version que Nikolaus Harnoncourt grava voilà un demi-siècle dans son vinyle dédié au Maître de Chapelle de la Maison Habsbourg, cela suffit à savourer la souplesse, l’agilité, les mordorures qu’enlumine la troupe réunie autour de Lionel Meunier.