SCO & François Leleux - Bizet & Gounod - Beethoven et les Autres blog
François Leleux est principalement connu comme étant un des plus talentueux hauboïstes de sa génération, un des membres de l’ensemble instrumental Les Vents Français, avec Emmanuel Pahud (flûte), Paul Meyer (clarinette), Gilbert Auguin (basson), et Radovan Vlatković (cor), mais en plus d’être un brillant soliste, il également commencé il y a quelques années une carrière très prometteuse de chef d’orchestre comme le montre le magnifique album de musique française du XIXe siècle qu’il vient de sortir avec le Scottish Chamber Orchestra et la maison de disque Linn records. Bénéficiant d’une excellente prise de son, d’un livret passionnant rédigé par le musicologue anglais Roger Nichols, un grand spécialiste de la musique française, et d’une excellente interprétation par les musiciens du Scottish Chamber Orchestra sous la direction de François Leleux, cet enregistrement est un pur bonheur à écouter, une bulle de légèreté et de joie en des temps assez troubles.
Au XIXe siècle il existait une frontière bien délimitée entre musique d’opéra et musique de concert, la première étant considéré comme « passionnant et socialement supérieur », les « loges d’opéra étaient hérités au sein des riches familles » alors que la musique de concert était considérée comme « cérébrale et potentiellement ennuyeuse », et le seul moyen de faire le pont entre les deux univers était de « tirer des extraits d’opéras et de les donner en concert — parfois avant la création de l’opéra, en guise e publicité, parfois après la création, comme souvenir. » (Roger Nichols, Livret de l’enregistrement). Après la création de son opéra Carmen, Bizet demanda à son ami Ernest Guiraud d’en tirer deux suites pour concert. Guiraud « se chargea également de transformer les intermèdes parlés originaux en récitatifs chantés. » L’ordre des mouvements de la Suite n°1 ne suit pas la chronologie des événements de l’opéra. La Suite n°1 comprend en effet un Prélude, reprenant le thème final du destin de Carmen suivi de l’Aragonaise, qui sert d’intermède à l’Acte III. Le deuxième mouvement est un Intermezzo qui reprend l’intermède de l’acte IV. Vient ensuite la Séguedille, pour laquelle Guiraud « a retravaillé l’aria de Carmen « Près des remparts de Séville », tiré de l’Acte I ». Le quatrième mouvement « Les dragons d’Alcala » reprend l’intermède de l’Acte II, et enfin pour conclure, « Guiraud revient aux brillantes premières pages de l’ouverture. »
La Petite Symphonie de Charles Gounod (1818-1893) est une charmante nonette pour instruments à vent composée en 1885, trente ans après avoir composé ses deux symphonies et à une époque où il composait principalement de la musique religieuse. Elle comprend quatre mouvements et requiert un effectif de 9 instruments (une flute, deux hautbois, deux clarinettes, deux cors, et deux bassons). Elle fut composée pour la Société de musique de Chambre pour Instruments à Vent, fondée en 1879 par le flutiste Paul Taffanel, et interprétée pour la première fois en public en 1885 à la salle Pleyel. Il y en a peu d’enregistrements, et c’est une œuvre malheureusement rare en concert, alors que c’est vraiment une œuvre délicieuse, d’une grande beauté mélodique mais aussi d’une grande difficulté technique pour ses interprètes. Elle représente une tradition très française, remontant à Taffanel et dont François Leleux est l’un des héritiers avec ses amis des Vents Français.
La Symphonie en ut majeur est une oeuvre de jeunesse composée par Georges Bizet en 1855 et qui resta longtemps perdue dans des tiroirs avant d’être redécouverte en 1933 par le musicologue Jean Chantavoine dans un legs de Reynaldo Hahn au Conservatoire de Paris. Peu après, le biographe anglais de Bizet, Douglas Charles Parker, montra le manuscrit au chef d’orchestre Félix Weingartner, qui assura la création de l’œuvre à Bâle en 1935. Selon Hervé Lacombe, biographe récent de Bizet, qui est cité dans le livret du disque écrit par Roger Nichols: « L’histoire de cette œuvre est emblématique de l’attitude de Bizet, du laxisme de ses héritiers, qui laissèrent se disperser ses manuscrits sans même en faire l’inventaire, enfin de l’incompétence de nombreux professionnels de la musique. » En effet l’œuvre ne fut pas publiée du vivant du compositeur, et il n’en a laissé aucune trace dans sa correspondance. Comme le souligne Roger Nichols le paradoxe de cette œuvre de jeunesse est qu’elle laisse entendre très clairement des influences de grands maîtres du classicisme et du romantisme (imbrication étroite des motif de l’Adagio héritée de Haydn, arpèges pointés hérités du jeune Beethoven, crescendos rossiniens, seconds sujets faisant appel à Schubert), et pourtant la musique semble tout de même se jouer de ses influences pour créer une œuvre personnelle, légère, fraîche et joyeuse.
A tout juste 17 ans, Bizet montrait déjà comme le souligne le Grove Dictionary of Music and Musicians, un dictionnaire encyclopédique de la musique, un talent incroyable pour « l’invention mélodique, le traitement thématique et l’orchestration ». Si Bizet a laissé cette œuvre tomber dans l’oubli, c’est probablement parce que cette symphonie était un devoir d’étude, qui présente de grandes similitudes avec la Symphonie n°1 de Gounod, une œuvre de son professeur au conservatoire que « Bizet venait d’arranger pour duo de piano » comme l’explique Roger Nichols. Bizet ressentait très profondément l’influence de Gounod sur son écriture, et déclara à ce dernier peu avant sa mort : « Vous avez été le commencement de ma vie d’artiste. J’ai craint d’être absorbé, je puis vous l’avouer maintenant. » Néanmoins malgré tous les défauts que le compositeur pouvait trouver à cette œuvre de jeunesse, il repris néanmoins le « thème en forme de marche joué par les vents » dans dernier mouvement pour l’utiliser « quelques années plus tard dans le sextuor « Quel bruit! » de son opéra italien Don Procopio« .
Personnellement cet album a été un merveilleux enchantement qui a égayé ma vie, grâce à une interprétation aérienne, enlevée et colorée de ces œuvres, qui sont toutes assez représentatives d’un style français. J’ai particulièrement apprécié le tranchant des cordes, la légèreté et le son fruité des vents, et la brillance des percussions. Les très talentueux musiciens du Scottish Chamber Orchestra sont dirigés avec précision et allant par François Leleux, qui évite de dans des effets vulgaires et parvient à trouver un équilibre parfait entre les différents pupitres. Il sait mettre en valeur les solistes de l’orchestre, en premier lieu les vents, qui sont à l’honneur dans cet enregistrement. La Petite Symphonie de Gounod donne à Leleux l’occasion de jouer comme premier hautbois au côté des musiciens à vents de l’orchestre, mais il joue en osmose avec ses collègues et ne cherche pas à briller à leurs dépends. Ce beau disque est aussi une occasion de découvrir des œuvres trop rarement jouées en France, notamment cette exquise nonette de Gounod, qui fut pour moi une très belle découverte.