Kerson Leong - Ysaÿe: Six Sonatas for Solo Violin - Classica
En 2016, le CD «Bis» enregistré avec le pianiste Philip Chiu chez Analekta braquait l’attention sur Kerson Leong qui, à 13 ans, avait remporté le premier prix Junior du Concours Menuhin. Ce disciple d’Augustin Dumay à la prestigieuse Chapelle musicale Reine Élisabeth de Belgique s’attaque ici sans frémir au massif des Six Sonates d’Ysaÿe qui poussent les exigences techniques aux limites du possible à l’instar des Sonates et Partitas de Bach ou des Caprices de Paganini. Le violoniste de 23 ans offre une vision pénétrante de ce monument qui met continûment la pensée au service de la musicalité. L’ensemble, sous son archet svelte d’une plénitude exemplaire, n’apparaît pas comme la seule expression de la démonstration et de la bravoure malgré une approche magistrale mais fait place à une qualité d’invention et à une conception unitaire, voire architecturale.
Dès la Sonate n° 1, dédiée à Joseph Szigeti, la redoutable difficulté de réalisation est relayée par la sonorité riche du Guarneri del Gesù de 1741 dont le soliste sait tirer le meil- leur parti, parfaitement secondé par la prise de son. La recherche de la polyphonie (Fugato), les oppositions de timbres, la densité de ton, relèvent d’une exécution abou-tie dont le caractère plutôt romantique est assumé avec une intonation sans faille. De telles qualités se retrouvent, portées à bout de bras, dans la Sonate n° 2 « À Jacques Thibaud » (mouvement final Les Furies), tandis que l’imagination poétique transparaît dans la Sonate n° 3 à l’intention de Georges Enesco. À la dimension rhapsodique de l’interprétation, répond dans la Sonate n° 4 « À Fritz Kreisler » toute la puissance d’une exécution où le rêve rejoint les réminiscences du Cantor de Leipzig (Allemande). La Sonate n° 5 se distingue par la tenue du phrasé, la sûreté d’archet, un vibrato contrôlé (L’Aurore) et un sentiment jubilatoire (Danse rustique). Les écueils de la Sonate n° 6 sont surmontés avec flamme, nuances dynamiques et variété de couleurs : la main gauche véloce reste inflexible, apportant à la habanera toute sa saveur rythmique et son excitation sonore. Kerson Leong se situe incontestablement sur les plus hautes cimes et côtoie la fulgurance de Kremer (Mobile Fidelity Sound ou Olympia, 1976), la liberté de Korcia (Lyrinx, 1994), la finesse sensible de Papavrami (Zig- Zag Territoires, 2012), l’équilibre souverain de Zimmermann (Warner Classics, 1993), la spontanéité d’Ibragimova (Hyperion, 2014), surclassant même la générosité de Mordkovitch (Chandos, 1986) ou les tensions trop tumultueuses de Zehetmair (ECM, 2002). Plus qu’une découverte, une véritable révélation.